SOMMAIRE DE LA CAUDRIOLE N° 14

 

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Avril – Mai - Juin - 2005

 

Illustration BD page 2

Patrick MERIC

De vous à moi  page 3

Paule LEFEBVRE

La Collecte  page 4-5-6-7

Didier BODIN

Mariage  page 8-9

Julie VASSEUR

Une journée magique  page 9

LUCIOLLE

La méprise de Séraphin  page 10-11-12

GRASJACQS

Je n’avais pas compris page 13

Marie-josée WANESSE

Le rendez-vous page 14-15

Françoise LELEUX

La balançoire page 16-17

Hector MELON D'AUBIER*

La chienne Belle page 18

Jeanne Fourneaux

Terrestres Extra page 19-20

Jean-François SAUTIERE*

Les amants de la petite lune page 21-22

Yann VILLIERS

La parole du capitaine page 23-24

Denise DUONG

Une vie bien remplie page 25

Jacques MACHUT

Le chêne vert page 26

Paule LEFEBVRE

Le lièvre à l’ouverture page 27-28-29

Alfred LENGLET

Naissance d’un amour page 30

Janine de NANCY

 

 

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AVIS DE CONCOURS

Editions littéraires

*  Retrouvez l’auteur dans la revue littéraire.

 

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DE VOUS A MOI…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Pour ce numéro 14 de la Caudriole, j'avais prévu un "spécial nouvelles". Mais il s'est trouvé, dans notre carton, quelques contes insolites donc impertinents. Qu'à cela ne tienne ! Si vous le voulez bien, nous intitulerons ce numéro "Contes et Nouvelles".

 

Par contre, les poèmes, également fourvoyés dans le même carton, reprendront leur place ultérieurement, ainsi que les textes patoisants, qui font le bonheur de nos lecteurs, mais dont l'écriture est nécessairement différente.

 

Il sera également question, dans ce numéro, du CONCOURS de NOUVELLES dont le règlement est maintenant défini. Il s'agira cette fois d'authentiques NOUVELLES, donc d'histoires vraies ou susceptibles de l'être. Le conte se trouve résolument éliminé… pour cette fois.

 

Que diable !... "La discipline est la force des armées"…

 

       Courage et à bientôt !

 

                   Paule Lefebvre

 

 

 

P2

 

LA COLLECTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Eau, beaucoup d'eau. Qui stagnait parfois puis s'élançait comme une langue. Une eau chatoyante et inquiétante…

Mer et atmosphère, le port.

Une blessure creusée à la gouge par le temps ou les hommes, dans la terre et la pierre. Ouvert sur l'infini et protection lovée contre cet infini dont on ne peut qu'imaginer le bord, sans le voir…

 

Ram tourna à droite, par la Basilique ; c'était sa façon habituelle de se repérer dans une ville inconnue mais dont il voulait pénétrer les "secrets". A Cherbourg, comme ailleurs, du reste. Ses pas se faisaient lourds, les pavés du centre lui avaient cassé les genoux. Ram n'avait pas l'habitude de lever les jambes, il traînait souvent les pieds au ras de l'asphalte !

Il se dit qu'il aurait peut-être dû continuer sur le port, droit et désert à cette heure, comme un purgatoire… Il oublia cette idée et continua son chemin, comme poussé par l'habitude.

Mais son corps résistait, comme se déplaçant à contre-vent. Signe d'erreur ? Il négligea l'information et le malaise sans mot. Mais il ne put continuer bien longtemps, au risque de buter sur un pavé plus saillant que d'autres ou bien de rester scotché, comme ces animaux en peluche qui n'ont pas utilisé les bonnes piles… Il rit, seul, et sortit au hasard de son sac à malices, une boîte de gélules blanches au couvercle de plastique doré. Ram laissait souvent faire le hasard pour ses auto-prescriptions, comme s'il ouvrait, de façon aléatoire, un livre sacré dans un moment crucial de sa vie…

Il avala 3 gélules. Sans eau. Il en avait une longue pratique !

Il se sentirait mieux tout de suite, ne ressentirait plus la résistance de la ville à son avancée ; il se sentirait accepté, l'élu, même !...

 

Ram sourit cette fois, attendri. Le produit naturel circulait dans ses veines, il le sentait, aussi sûr que son bracelet métallique pour canaliser l'énergie et son cristal de quartz dans la poche pour la force aussi. N'est-ce pas ainsi que ça marche ici ? Signes, présages et divination ! "A Rome, fais comme les romains !", dit-il, presque à haute voix.

Il était seul. Mais une ville avait toujours ses yeux et ses oreilles…

Lancer les osselets, observer le vol des oiseaux…

"Tais-toi !", s'imposa-t-il à lui-même. Que cet organe cerveau est donc bavard ! Et il se dirigea résolument vers le point qu'il avait choisi d'atteindre. Il était proche…

 

Basilique. Ram essaya le loquet de la lourde porte de bois : fermée. Mais il s'y attendait. Le Seigneur avait son église ouverte à des heures de bureau en ces temps bien réglementés.

Il se sentit poussé à contourner, comme d'autres, le bâtiment saint, pour chercher une autre issue, un autre salut. Mais il n'en fit rien. Il savait que c'était inutile. Là encore, le manque lui rongea les chairs. Un comprimé sécable dans les tons bleus fit taire la souffrance ; il l'avait avalé entier…

         

Il fit plutôt demi-tour et rencontra Idle, une fille "bien", qu'il avait déjà croisée hier. Il lui proposa banalement, mais avec cœur, de lui "payer un pot". Elle accepta, tout aussi naturellement. Elle avait de longs cheveux d'enfant, avec des crans ; il bénit la mode qui revenait, détestant la pénitence injuste des cheveux rasés…

Son regard était droit devant elle, ouvert, limpide mais quelque chose vibrait, au loin, quand on s'attardait dans cette eau…

Mais avant d'aller s'attabler à la terrasse de ce café qui paraissait sympa, il l'attendit, assez longuement à son sens, qu'elle fasse la queue au débit de tabac ; lui ne rentrait pas, ça sentait trop mauvais dans ces endroits confinés… avait-il fumé un jour ? Il chercha mais ne trouva pas.

 

Idle lui dit à sa grimace qu'elle ne pouvait rencontrer quelqu'un, boire ou discuter sans une cigarette à la main, c'était à lui de voir…

Fataliste, il accepta, il avait vraiment envie de passer un moment avec elle ; se sentant vide sinon.

Ram ne fumait pas. Il avait décidé ainsi. Il aimait mieux apporter à son organisme tous les composants manquants ou présents en trop faible quantité, ceci sous différentes formes, pilules ou décoctions… Selon lui, il ne s'en portait que mieux… Mais il aimait la voix rauque d'Idle, qu'il attribuait à la fumée et qui lui remuait le bas-ventre…

"Tu aurais dû essayer Saint Martin…", lui dit-elle en sortant du débit de tabac, défaisant experte l'emballage du paquet, jetant la cellophane par terre et négligeant les regards désapprobateurs. Elle ne le regardait pas mais pas d'avantage le paquet ou la cigarette qu'elle introduisit avec vivacité entre ses lèvres.

Comme ailleurs : "Si tu veux vraiment du mystique… de l'ambiance… "

"C'est pas ça, c'est…", Ram ne put continuer. Ses mots et sa bouche étaient vides. De toutes façons, elle ne l'écoutait pas. Elle semblait pleine de vie, mais ailleurs. Sirotant une fois à droite son coca-rondelle à la paille, une fois à gauche sa Marlboro light. Manifestement elle n'inhalait pas la fumée…

"Tu sais", poursuivit-elle, "des bombes sont tombées sur des églises…" Un halo bleu l'enveloppait, divin ou démoniaque ?... Il pensait la même chose mais ne l'exprimait que rarement. Il essaya de n'avoir aucune pensée se rattachant à ce sujet.

Deux comprimés introduits discrètement dans le coin de la bouche l'y aidèrent. Mais un blasphème lui échappa avant que la chimie ne fasse son œuvre : "Dieu ne nous aime pas".

C'était une pensée de son enfance qui ressurgit à ce moment de fragilité qu'Idle exploitait.

Elle ricana, sans qu'il en sache la tonalité. Elle était jolie comme ça. Elle ne parla pas.

 

"C'est à nous de nous débrouiller ? Hein ? Comme toujours… C'est ça ? Comme dans les bouquins… Personne ne viendra ?..."

 

Idle resta silencieuse et le regarda sans émotions s'agiter. Sa cigarette s'éteignait. Allait-elle en rallumer une autre ? Elle décida que non.

Elle  tourna la tête vers cet homme qu'elle ne connaissait peu, mais connaît-on un jour les hommes ! Elle le regarda vraiment, pour la première fois depuis leur rencontre et d'une façon neutre lui dit d'un air ostensiblement perspicace :

 

"Oh, toi ! Je vois ! Tu es du genre à voir des plaques de mazout et des bouteilles vides flotter sur l'eau…" "Et pas le reste !" Elle rit, de gorge, rejetant la tête en arrière, comme dans les films.

"Maniaco-dépressif, hein?!"

Mais ceci sans se prononcer sur ses choix à elle, ni lui demander de commentaires.

 

"Et toi ?", essaya-t-il. Mais le serveur empêcha toute réponse en apparaissant au bord de leur table. Il apportait avec insistance l'addition ; il avait fini son service, devait encaisser, clore sa caisse… Ils avaient envie de faire traîner, par mauvais esprit. Mais à quoi bon ? Tous les protagonistes s'en moquaient, en fait…

Ram sortit un billet, agacé et fataliste. Puis empocha la monnaie sans compter, avec l'impression pourtant que le serveur le volait. Idle lui baragouina quelque chose qu'il ne comprit pas, ce qui augmenta son mécontentement. Voulait-elle laisser une pièce au serveur ou bien lui proposait-elle de partager l'addition ? Il laissa la pièce qu'elle avait déposée sur le guéridon, sans en regarder le montant. Ce serait le prochain serveur, en commençant son service qui l'empocherait, se dit-il, en ricanant intérieurement sans raison.

Tristement.

 

Peut-être faisait-il une erreur en s'entichant de cette fille. Elle ralentissait peut-être son recueil d'informations… Ou bien faisait-elle partie des données. Qui sait ?

Il eut violemment envie d'elle. Sans qu'il puisse démêler si c'était venu de sa pensée ou de son corps. Il décida d'accepter le fait de façon neutre. On verrait bien.

Au cas où…

 

Ils se baladèrent sans but, nez en l'air. A la fois très proches et à la fois distants. Il s'avéra à échanger qu'ils aimaient tous les deux se perdre dans une ville inconnue, sans demander leur chemin aux passants, sans consulter les plans… Comme dans leur vie, du reste…

 

"Sinon pas de surprise !", dit Ram en lui prenant la main. Et il vit, dans son regard, que ça répondait exactement à ses pensées à elle. Elle lui sourit et lui serra un peu les doigts en signe de connivence. Ils disparurent à gauche, dans une espèce de rue commerçante qui commençait tout juste à s'animer.

 

L'image sereine de cette heure encore calme donnait l'illusion d'un bonheur retrouvé. Cela faisait du bien. Même s'ils savaient tous les deux, pour des raisons différentes, qu'il n'en était rien. Qu'il n'en serait jamais…

Etc.

Ram en oubliant pour le reste de la journée de compléter ses sécrétions internes par quelques substances que ce soit ; il faut croire que son état de satisfaction éphémère était suffisant…

Pourtant, il était toujours persuadé que ce monde lui tendait des pièges sans cesse. Il y pensait moins, un point c'est tout. Ou plutôt, il y faisait moins attention. Si le personnage qu'il venait de croiser disparaissait dans une impasse, ou si l'enseigne n'était plus exactement la même que lorsqu'il avait levé les yeux l'instant d'avant…

 

Idle, quant à elle, avait le sentiment de moins penser, que tous ses mots intérieurs venaient moins la torturer… Mais ils étaient toujours là.

Ram la rassurait, sa présence plus que sa beauté, une image de père, elle qui n'avait pas connu le sien…

Il se mit à crachoter avec la tombée du soir. Puis nettement à pleuvoir. La marée ?

C'était le signal.

 

Ils firent l'amour comme s'ils devaient ne plus jamais se revoir. Ce qui serait sans doute le cas. Ils le savaient. Mais ce n'était pas à cause d'un poison déposé dans la coupe de champagne de l'un ou de l'autre. C'était dans le scénario. Qui les dépassait.

 

Ce fut bien et fort, pour l'un comme pour l'autre ; ils se le dirent dans le regard.

Pourquoi ne peut-on jamais prolonger les expériences les plus fortes ? Ram n'avait pas la réponse, lui non plus. Il s'agitait aux côtés d'Idle, figée, elle sur le dos. Une cigarette qui fumait au bout de ses doigts pendant en dehors du lit.

Il finit par avaler avec dextérité deux gros comprimés longs sécables, mais qu'il avala entiers. Idle ne bougea pas, les yeux fixes dirigés vers le plafond ; sa cigarette se consumait doucement, sans qu'elle ne relève le bras à aucun moment.

Après avoir jeté un regard inquiet vers elle, il ajouta plusieurs gélules dont il ne compta pas le nombre. Sa réserve s'épuisait. Il était temps…

 

Au moment de l'inscription pour la chambre, hier soir, ils avaient décidé de ne pas prendre de petits-déjeuners, d'un commun accord. La fille à l'accueil garda un sourcil relevé coincé, mais ne dit rien.

Ram paya.

 

C'était une ancienne chambre modernisée. Il restait le papier fleuri de l'ancien décor, mais l'armoire ancienne en faux chêne avait été enlevée et remplacée par du pin lisse, clair, au goût du jour… Le support télé (restée muette cette nuit) aussi.

 

Ils avaient faim, et regrettaient leur choix d'hier soir. Choix sans doute motivé par leur désir du moment. Immédiat… Mais, là, ils n'avaient ni l'un ni l'autre le courage d'affronter la cerbère d'en bas, pour dire qu'ils avaient changé d'avis…

Il n'y avait personne en bas ; ils sortirent un peu tristement. Le cling de la porte s'étouffa très très vite.

Rue. Pavés humides et glissants.

Ils sortirent dans la rue, leur maigre sac à dos en bandoulière pendante… A la recherche hypothétique d'un café sympa et ouvert. Ils s'assirent à la terrasse du premier qui leur barrait le chemin. Le patron finissait de sortir les tables. Fatigué. Déjà.

Idle et Ram restèrent en terrasse, malgré le petit vent frais du matin. Ils sirotèrent leur crème, sans croissants : pas encore arrivés.

Ils le burent, se réchauffant les mains à la tasse, en silence.

Puis avant de se lever, las, ils échangèrent sans y croire leurs numéros de portable et partirent sans se retourner dans deux directions opposées. Enfin pas dans la même direction… Pas ensemble…

Petite pluie fine.

Ils s'étaient séparés ainsi sans le faire exprès, aucun des deux. C'était comme ça et pas autrement, comme dit l'autre.

Les pavés glissaient sous le pied. Ram avait dans ses muscles le souvenir de la lutte avec Idle. La lutte où aucun n'était sorti victorieux. Il s'en souvenait. Témoin de la nuit. De lui et d'elle.

C'était important.

Il fit demi-tour comme pour un complément d'enquête, mais ne la rattrapa pas, ne la retrouva pas.

La place lui sembla changée. Il ne la reconnut pas. Ni l'église qui lui apparut étrangère…

Il chercha en vain la petite rue et la maison dans laquelle ils avaient si peu dormi. Comme si elle n'avait jamais existé. Mais sans doute s'était-il trompé de ruelle. Les moellons se ressemblaient tous, grèges, anguleux… Il n'eut pas le courage de poursuivre ses investigations. A quoi bon ?

Ram frissonna ; il n'avait plus qu'une sorte de molécule dans son sac banane ; il était temps de partir, s'il ne voulait pas avoir d'ennuis.

Il en perdit deux entre les pavés, dans sa fébrilité. Shit ! jura-t-il, les lèvres pincées. Il rit de sa propre attitude. Puis tourna les talons sans plus attendre ni s'attarder. Il était bien temps en effet. Les maisons lui semblaient hostiles maintenant. Il marcha d'un bon pas et récupéra sans problème sa voiture garée en périphérie. Jeta son sac à dos sur le siège arrière et sans transition démarra et accéléra sec. Le temps toujours le temps ; c'était le leitmotiv de cette vie urbaine.

 

Ram sifflota, accompagnant l'air quelconque qui sortait des hauts parleurs. Puis les infos, la même rengaine qu'à chaque fois qu'il ouvrait le poste : un incendie difficilement maîtrisé, les pompiers ont lutté… etc. On a retrouvé le corps d'une jeune femme à demi dévêtu dans le port, des tests ADN sont en cours pour déterminer…

 

Ram appuya sur un bouton et une autre chaîne prédéfinie se mit en marche. Musique ! Il fit en cadence un grand moulinet du bras droit, tenant à peine son volant de la main gauche. Puis il enleva l'allume cigare. Instantanément la musique se tut, remplacée par un son étrange, comme si on était calé juste avant une station. Ce qui n'arrivait plus avec les autoradios modernes.

Ram commença à réunir la collecte de sa moisson du jour, sans rien omettre, sa voix était limpide. Cela prit peu de temps. Il était habitué à ce genre d'exercice. Il remit l'allume cigare en place et la musique refit surface. Exit.

 

S'il se dépêchait, il aurait le temps d'arriver, sans gêne personnelle particulière, au point de ralliement. Il rit par avance de plaisir. Un shake-up rapide lui dirait de quelles substances son organisme manquait après ce périple à Cherbourg. Il aurait tout le loisir de compléter son métabolisme avec toutes les substances qu'il voulait. Peut-être même de nouvelles. Ram était pressé de se trouver confronté à cette opportunité.

                                                                      Didier Bodin (Bonneval)

 

 

 

 

P3

 

MARIAGE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Haut

 

Le lycée est une agence matrimoniale finalement très productrice. Admettons qu'il y a ait, là-bas 603,5 élèves. 2 élèves seraient des célibataires endurcis. 100 seraient des célibataires endurcis. 400 formeraient des couples (donc 200 couples !). 100 s'en foutraient complètement. Et 1 se marierait.

Avec lui-même.

Inutile de préciser que cet unique élève était, bien évidemment, moi-même. Eh oui. Je décidais de me marier. Ravies, mes amies préparèrent une petite fête à mon honneur. Quelle ne fut pas ma surprise quand je vis, accrochés sur tous les murs de ma maison, des posters géants à mon effigie avec essuie-glaces incorporés ! J'étais tout à fait heureuse. Je les remerciai comme je le pouvais, en leur donnant ma bénédiction. Elles étaient heureuses aussi.

       - Et moi ? demanda le chat, outré qu'on ait pu l'oublier à un moment pareil.

Elles le couvrirent de baisers, et je lui donnais le rôle de Grand Prophète Bidulien. Il réclama des dragées comme premier salaire. Je lui répondis qu'il n'aurait pas de salaire, étant donné que j'étais un génie, et que les génies n'étaient riches qu'après leur mort. Il dégaina ses griffes. Je décrochai les essuie-glaces du poster géant qui me regardait dédaigneusement. Que j'étais pleine de grâce ! m'étonnai-je. Je brandis mon arme, me promettant de ne l'utiliser que pour me défendre. J'entendis la porte d'entrée s'ouvrir dans un grincement qui ressemblait à un miaulement.

Sournois, le chat se griffa lui-même et se mit à gémir.

Mes adeptes regardaient la scène avec horreur.

Moi aussi.

Même les génies ont peur, quand il s'agit de la fureur maternelle. Maman entra en effet dans la cuisine. J'essayai vainement de cacher les essuie-glaces derrière mon dos, mais ce fut peine perdue. Elle regarda le chat. Je lui tirai la langue (au chat). Maman se retourna vers moi, les joues si rouges que j'aurais juré pouvoir faire cuire un œuf dessus.

- BIDULE ! cria-t-elle, toute colère retenue.

Oh ! Pauvres tympans ! A peine mon prénom dit d'une manière assez peu agréable, elle essaya de se calmer pour me demander des explications.

- Les filles, vous pouvez y aller s'il vous plaît ? Bidule et moi avons à parler.

Maman avait parlé d'une voix mielleuse, qui ne lui ressemblait pas du tout, et qui m'effrayait, moi, génie de la littérature française et internationale, génie en tout, qui allait me marier avec moi-même…

Elles s'éclipsèrent sans rien dire, et le plus vite possible.

Lâches.

Je les retirai de ma liste des adeptes. Non, elles n'auraient pas dû me faire défaut à cette heure cruelle. Le chat rigolait, je le foudroyai du regard. Sale bestiole ! Aussitôt que Laura fût sortie, ma mère quitta son sourire crispé pour plaquer sur sa figure une expression qui aurait pu faire fuir n'importe qui. Y compris moi.

-       Pourquoi Bidule ?

Sa voix était douce. Je soufflai. Ma mère paraissait inquiète. Avais-je négligé ma famille dans mon élan génial ? Croyait-elle que je l'avais oubliée, ne pensant qu'à ma carrière littéraire ? Oh ! Que c'était touchant ! Elle reprit, voyant que je n'avais pas répondu et pour cause : j'étais plongée dans mes réflexions sur ma conduite à tenir envers mes parents et mes frères et sœurs.

- Pourquoi as-tu attaqué le chat avec un essuie-glace ?

J'étais atterrée. Non. Elle demandait pourquoi j'avais attaqué le chat avec un essuie-glace. Je le confirme : les génies sont incompris.

       - C'est la philosophie susalarienne, répondis-je.

Il n'y avait aucun rapport. C'était une ruse.

       - Tun Ruz. C'est le nom du philosophe qui a inventé le susalaru.

       - Bidule ?

Elle était visiblement exaspérée.

       - Vas ranger ta chambre, conclut-elle.

Je savourais ma victoire.

Avec du chocolat.

       - Sus au chocolat !

Tiens, ça sonne comme…

Miam.

                                                                       Ahem

 

 

 

 

P4

 

LA MEPRISE DE SERAPHIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Haut

 

 

v                   Trente minutes de retard ! Le froid était terrible. Il remonta son col et accéléra le pas pour ne pas alourdir démesurément l'inexorable addition du temps qui passe. En haut de la côte, il se retourna et eut un regard ému pour la vieille Citroën XM qui, fatiguée par d'incessantes navettes "Brest Mauriac", avait refusé de gravir le dernier col à huit kilomètres environ de cette charmante bourgade de moyenne montagne.

 

v                   Depuis quelque temps, le témoin d'eau s'allumait par intermittence mais il s'éteignait aussi vite ne suscitant pas chez Séraphin la vigilance qui s'imposait en pareil cas. Après tout, il ne lui restait plus qu'une  petite centaine de kilomètres pour connaître l'indicible bonheur du réveillon de Noël en famille, c'était là l'essentiel…

 

v                   Tout à sa joie d'imaginer les mines épanouies des convives autour du sapin au moment de mutiler précautionneusement les emballages papiers cadeaux, il en oubliait de lorgner sur le tableau de bord où un sémaphore insistant laissait augurer l'imminent naufrage. Tout au plus, était-il obligé de "rentrer" une vitesse ou deux au sommet des côtes mais vu l'âge du navire, le capitaine n'avait aucune raison sérieuse de s'inquiéter : le bon vieux rafiot en avait vu d'autres et filait toutes voiles dehors vers "la mer promise" pourfendant les embruns de neige fondue, chassant les flocons perfides à grands coups d'essuie-glace défaillants. Soudain, le vieux loup de mer, rivé au gouvernail, entrevit à travers le hublot embué de la cabine un récif digne des écueils d'Ouessant : "Côte à 10 %, véhicules lents serrez à droite". En marin expérimenté, il obtempéra séance tenante craignant peut-être, sait-on jamais, de tomber en rade au plus fort de la vague. La brusque décélération ajoutée au fort pourcentage de la lame de fond fut fatale au paquebot qui, épuisé, échoua lamentablement sur le bas côté de la route, laissant de généreuses bouffées blanches s'échapper des cales surchauffées.

 

v                   Séraphin n'en croyant pas ses yeux s'extirpa du poste de pilotage, proférant force jurons à faire rougir d'envie les pirates les plus mal embouchés. La grossièreté ne changea rien à l'affaire : à peine le capot soulevé, grommela-t-il entre ses dents un diagnostic impitoyable : "Durite HS, M…. M……… de M…. S". Que faire à vingt et une heures en pleine cambrousse sur une route de montagne irrémédiablement déserte ? Téléphoner avec le portable pour qu'un invité vienne le chercher, bien évidemment ! Pourquoi n'y avait-il pas pensé plutôt ? L'émotion sans aucun doute… Rasséréné, notre étourneau fourragea fébrilement dans les poches de sa parka pour enfin brandir l'objet de la délivrance.

 

-            Allo Joséphine ? ALLLOOO ???? Mais elle est sourde ma parole !!! Mon Dieu, je n'ai plus de batterie, j'aurais dû le recharger avant de prendre la route…

 

v                               "Ce sont les cordonniers les plus mal chaussés, a-t-on coutume de dire" : VRP en vins et spiritueux, donc habitué à barouder sur les routes de France, Séraphin mériterait des claques pour être parti avec un véhicule non vérifié et un portable déchargé mais la fatigue de fin d'année, la perspective de passer les fêtes en famille, la précipitation du départ, lui firent oublier les conseils de prudence les plus élémentaires. La totale en quelque sorte ! Prostré au volant de sa maudite guimbarde, il réprime difficilement une déprime passagère envisageant même de dormir sur place : "Au point où j'en suis, ils vont faire la fête sans moi. Ils vont penser que j'ai eu un empêchement de dernière minute et que je ne me suis pas décommandé pour ne pas gâcher la soirée. Et puis zut ! Je suis crevé, je vais roupiller là… Demain sera un autre jour. Au petit jour, il passera bien quelqu'un qui me prêtera son portable. Le principal, c'est que j'ai les cadeaux. Que je leur offre le 24 ou le 25, c'est du pareil au même"…

 

v                               Passé le Cap Horn, le vaillant capitaine au long cours retrouve le moral et décide d'un seul coup d'un seul qu'il finirait à la nage, dans les flots glacés et enneigés les huit petits kilomètres qui le séparent de "home sweet home". Rapide calcul : deux heures devraient suffire pour arriver au port et recevoir l'ovation familiale que mérite un pareil exploit. Et c'en est un quand on sait que notre homme n'a rien de Jacques Lanzmann au mieux de sa forme : il doit parcourir en une année la distance que l'auteur de Hôtel Sahara effectue sur une journée… et encore en petite forme. Avec un peu de chance, il devrait mettre les pieds sous la table à 23 h au plus tard. Bien sûr, Joséphine lui avait signifié d'être là à 20 h 30 mn mais bon, elle lui fait le coup à chaque année et régulièrement il précède d'une heure ou deux ceux qui habitent à cinq kilomètres de là. Au plus mal, il aura raté l'apéro : pas grave, ça peut se rattraper d'autant qu'il aura bien soif. Il ne lui reste même plus une goutte d'eau mais on n'est pas en plein été, il tiendra bien deux heures sans s'hydrater…

 

v                               Requinqué, galvanisé par une foi à soulever les montagnes, il a l'embarras du choix. Séraphin sort les cadeaux de la cabine, les charge tant bien que mal sous ses deux bras et, tête baissée, entame son pèlerinage en fredonnant quelques cantiques de Noël pour se donner du cœur à l'ouvrage. Et c'est là qu'il a l'occasion de vérifier la légende des croisés de Compostelle, "Trois pas en avant, deux pas en arrière" : trop chargé, pas de gants, cadeaux qui glissent et tombent tous les cent mètres, arrêts fréquents pour se réchauffer les mains dans les poches de sa parka. Bref, un véritable chemin de croix ! Ajoutons-y quelques belles ampoules aux talons histoire d'éclairer un tantinet le décor psychédélique et en prime une tempête de neige : vingt centimètres en une demi-heure !

 

v                               Pour ne pas se démotiver, Séraphin cherche des points de repère dans le paysage enchanteur… de jour mais il fait nuit noire et, cerise sur le gâteau, il a oublié la lampe électrique dans la voiture : "un malheur n'arrive jamais seul" ! Il n'a plus d'autre ressource que de marcher au mental –"marche ou crève"- Dans ces moments cruciaux où l'homme lutte pour sa survie, il se rattache à de tout petits riens qui ne lui font pas lâcher prise : saumon, boudin blanc, huîtres, bûche glacée… Une ultime rafale de blizzard lui arrache les cadeaux des bras qui spontanément vont s'accrocher aux branches d'un majestueux sapin… à une hauteur nécessitant des talents d'escaladeur patenté pour aller les décrocher. Capitaine Surcouf n'est pas le cousin germain de Maurice Herzog : la dernière fois que Séraphin a grimpé c'est … à la corde et à l'armée, il y a de cela vingt bonnes années ! Avec l'âge, les raideurs se déplacent mais après moult culbutes dans le fossé accompagnées d'inqualifiables et innombrables jurons, il parvient à les récupérer tous sauf UN, et pas n'importe lequel : celui de sa belle mère cordialement détestée depuis deux décennies. Pas question de la priver de cadeau alors qu'une accalmie protège leurs fragiles relations : un ouragan est si vite arrivé. Pendant un bon quart d'heure, il reprend le chemin des cimes lorsque, de là-haut, sur le point de renoncer et de sonner le glas de la trêve entre belle maman et lui, Miracle des évangiles, il aperçoit tout à la fois le panneau Mauriac et la cafetière électrique posée tout contre lui, comme par enchantement : le papier emballage n'avait pas survécu aux caprices d'Eole mais l'honneur était sauf !

 

v                               Mû par des forces décuplées, déshydraté, affamé, il parcourt façon Roger Quemener dans Paris Colmar le dernier kilomètre qui le sépare de son domicile, pulvérisant sous ses pas la poudreuse comme un chasse-neige. Soudain, cruelle désillusion : arrivé chez lui, il trouve porte close. "Ce n'est pas possible, ils ne sont pas couchés à une heure du matin, c'est tôt pour un réveillon. Ou alors, c'est que quelqu'un a été malade et qu'ils l'ont conduit à l'hôpital… Je vais quand même sonner à tout hasard…

 

v                               Joséphine apparaît sur le seuil, tête ébouriffée, comme une beauté qu'on vient d'arracher à un profond sommeil :

 

-            Qu'est-ce que tu fais là, mon chéri ? On t'attendait demain Vendredi pour le réveillon mais pas aujourd'hui Jeudi, à pied et à une heure pareille. Avec ta parka rouge, tu ressembles au Père Noël, surtout avec ta capuche sur les oreilles…

 

-            Mais qu'est-ce que tu me racontes ? C'est bien Vendredi aujourd'hui et pas Jeudi !

 

-            Toujours aussi têtu… Regarde ton agenda et tu verras que j'ai raison !

 

              Séraphin s'exécute de bien mauvaise grâce et s'aperçoit de sa méprise : il avait par inadvertance consulté son agenda de 2003 où le réveillon tombait un Jeudi.

 

-            Dis donc mon chéri, t'aurais pas laissé par hasard ta voiture au bout du chemin pour nous faire la farce du Père Noël ? Tu devrais la remonter et rentrer les bouteilles de vin pour le réveillon : par les temps qui courent, un cambriolage est si vite arrivé…

                                                                                                                                     Grasjacqs

 

 

 

 

P5

 

JE N'AVAIS PAS COMPRIS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Elle est partie, sans rien dire, elle a vécu le possible et l'impossible.

 

Elle dort, enfin ! Finies les nuits sans sommeil, à faire le point sur sa courte vie, à s'abrutir de musique, son casque sur les oreilles pour ne déranger personne, elle écoutait tout ce qui est triste, les ruptures, l'amour inavoué, le mal-être, la solitude………

 

Elle pleurait, s'identifiant aux personnages des films, des tragédies, de ces images du journal télévisé où plus rien n'allait bien : comme elle avait rêvé !!!

 

Elle souffrait de ces malheurs qui arrivaient aux gens, avec cette révolte de ne pouvoir rien y faire ou si peu….

 

Plus jeune, elle a poussé dans l'extrême : le puéril, le factice, le dérisoire, ne prenant la démesure que pour s'étourdir : le monde lui fait peur !

 

Elle use de son charme, auprès de ces messieurs, qui ne demandent qu'à plaire, comme elle : elle rit, donne des rendez-vous, qu'elle laisse sans suite : son unique plaisir est qu'on l'aime, mais elle ne veut pas se donner.

 

Elle cherche un refuge, une épaule sur laquelle s'appuyer, pour être comprise, elle se dit que c'est éphémère, si fragile, alors elle met dans sa relation toute la passion dont elle est capable, un art de vivre poussé par l'angoisse qui l'emportera. 

 

Elle confie, rarement, à ses proches ses sentiments, mais on lui voit si souvent les larmes aux yeux, qu'on suppose qu'elle a du chagrin. Si on lui dit, elle répond "on peut aussi pleurer de bonheur". C'est vrai qu'un rien l'émeut : un paysage, un enfant, une robe de mariée, une œuvre d'art………

 

Elle s'inquiète pour tout, pour rien. Elle anticipe le mal qu'on pourrait faire à ceux qu'elle aime, elle est prévenante, tend la main aux autres et est égoïste à la fois. Elle s'amuse, et puis s'ennuie et broie du noir.

 

Elle craint l'humain, parce que trahie tant de fois. Elle ne sait plus à qui accorder sa confiance et elle s'enferme, ne sort plus, tourne en rond dans son intérieur moral et physique.

 

Elle a bien essayé de trouver le juste accord, avec les jeunes enfants, tout encore pétris d'innocence, et avec des personnes, l'âge étant venu, remplis de sagesse, elle n'y a pas trouvé la sérénité.

 

Pourtant, quand le ciel est radieux, elle s'impose des moments virtuels de relâche : elle organise des repas, qui lui prennent toute son énergie pour ses proches : mais, rien n'est jamais parfait, et ce qui devait lui être une joie devient corvée.

 

Elle aime les fleurs, elle en sème, elle en plante, elle invente de beaux bouquets, s'inspirant de magazines où les photos sont superbes, à ses yeux, les siens ne sont qu'ordinaires.

Elle est fière et même orgueilleuse, tout en se voulant modeste en sublimant l'humilité. De l'aurore, elle fait son coucher, du crépuscule : son lever.

 

Pourquoi refuse-t-elle de se nourrir alors qu'elle donne du pain aux oiseaux ? Pourquoi s'enlaidit-elle, alors que ses armoires regorgent de vêtements élégants, sa salle de bain est le modèle de la femme qui se veut bien dans sa peau ?.... Pourquoi s'efface-t-elle ? Veut-elle se confondre, se diluer dans la foule des mortels ?

 

Difficile à vivre pour les autres, elle s'est rendue compte qu'elle n'appartenait pas à ce monde : elle a choisi, poussée par on ne sait quel démon de ne plus y paraître.

 

Elle n'aimait pas certains mots comme "tolérer", c'était pour elle, ne rien changer de soi-même, tout en supportant les différences et donc, de ne pas les accepter vraiment : une attitude indulgente ambiguë.

 

C'était mon amie.

                        Marie-José. Wanesse

                                                                                               2002

 

 

 

P6

 

 

LE RENDEZ-VOUS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Chargé d'émotion, un cimetière est un lieu dynamité de vanité. Chaque jour des pensées d'amour et de haine, des ondes positives et négatives, se croisent et s'envolent dans les nuages.

 

La Toussaint est sans doute la période de l'année la plus représentative de celle-ci.

Témoin oculaire invisible dans ce grand domaine destiné au repos éternel, j'écoute silencieux, les scènes empreintes de tristesse, de remords, de déchirement, parfois de haine et d'orgueil. Pourtant ce lieu devrait être emprunt de paix et de recueillement.

Parmi les nombreux visiteurs, eh non ! Je n'ai pas de statistiques exactes à vous donner… cet endroit, contrairement à ce que l'on pense, est très fréquenté, vivant et baigné de sentiments.

 

***

 

Il y a ceux qui viennent quotidiennement, à heure fixe, faire une courte visite et dialoguer muettement avec une personne chère, lui demander conseil quelquefois… Ce recueillement de quelques instants adoucit la peine et le rendez-vous est fixé fidèlement au lendemain.

Deux amies en profitent pour faire le tour des allées, regarder les tombes d'amis ou anciens voisins, mélangeant l'aspect froid et glacial de celles-ci à des sentiments humains de médisance, car, comme l'écrivait Pascal, "la curiosité n'est le plus souvent que vanité".

Telle sépulture est à l'état d'abandon, sur une autre, une potée de fleurs défraîchies entraîne le scandale des pensées, cela ne fait pas convenable une tombe dans cet état. Une stèle attire le regard car il y a depuis peu un nouvel occupant. Le volume, la qualité florale sont les reflets de la position sociale et du regret présumé.

Chaque matin la visite de nos deux habituées dure environ une heure. Dieu que le temps passe vite dans cet endroit ! Beaucoup de pourquoi ? Comme l'imagination peut être fertile…

Dans ce lieu public, yeux et langues ne chôment pas. Souvent on aperçoit, quelques tombes plus loin, une autre connaissance, qui a un deuil plus récent que ces deux fidèles acolytes.

Pour elles, depuis vingt ans, cette visite quotidienne est un rite qui peu à peu a apaisé leur chagrin. Elles ont néanmoins oublié que cet endroit est destiné au recueillement silencieux, et non au bavardage.

Un peu plus loin, une jeune femme blafarde, pleure en silence devant une tombe d'enfant. Sa douleur n'est pas feinte. Elle est chargée d'interrogations : pourquoi ce drame, cette souffrance ? Son corps vit encore des tressaillements de son enfant. Son cœur était trop fragile, il n'a vécu que quelques instants. Des flots de pensées de révolte, d'injustice se mêlent à ses larmes ; pendant quelques instants, elle souhaite le rejoindre.

A l'extrémité du cimetière, un taxi mortuaire fait son entrée avec peu de fleurs. Le cortège est réduit, car il ne s'agit pas d'un notable de la ville, mais d'une personne âgée et seule. Si les hommes ne naissent pas égaux, la mort creuse encore plus cette inégalité. Ne dit-on pas qu'il y a les plus riches du cimetière ? Depuis de nombreux millénaires, la mort a été entourée de rituels, mettant en évidence les différences de prestations, selon fortune et rang social.

 

***

 

Nous sommes à quelques jours de la Toussaint ; les coffres de voiture sont remplis du set de nettoyage… En quelques heures cette propriété de la commune va peu à peu se transformer en un magnifique espace fleuri digne de l'inspiration d'un peintre. Les tombes vont disparaître sous les nombreuses potées de chrysanthèmes et de bruyères, ces fleurs sont les reines de la fête. On aperçoit de très loin un tapis ondoyant de jaune, orange, pourpre, vert et bleu argenté, se reflétant dans le soleil et se réveillant dans la gelée matinale.

 

Par vanité, ceux qui ont un remords de conscience vont apporter une volumineuse composition florale, non pas pour celui qui repose et dont les cinq sens sont endormis à jamais ! Non, c'est pour susciter l'envie chez tel ou tel membre de la famille. Cela entraîne parfois des réactions négatives. Une tombe est visitée et fleurie régulièrement par la famille sur place. Un autre membre vient une fois l'an de l'autre bout de la France et en simple visiteur, car il n'a pas participé au nettoyage. Alors, à peine déposé, le chrysanthème prend la direction de la benne déchetterie. Pourtant, à proximité, deux tombes sont oubliées. Cette fleur aurait été la bienvenue…

Aveuglée par sa haine, cette personne n'a pas vu le tremblement de mécontentement des feuilles. Cette plante est furieuse, dans sa vanité de fleur épanouie, qui s'est préparée durant de nombreux mois pour atteindre cette maturité éclatante, d'être ainsi jetée aux ordures et devoir cohabiter avec des bouquets fanés ou décomposés, des papiers, couronnes ou gerbes.

 

Cette décharge reçoit de nombreux visiteurs. Des habitués qui viennent faire de la récupération : les supports des croix et couronnes, tri des plantes, des rosiers, des mini sapins qui seront repiqués dans les jardins à moindre frais, ou bien ils referont une nouvelle composition florale et iront tout simplement la déposer sur une tombe de leur famille.

D'autres, probablement pour réduire la corvée des ouvriers d'entretien, récupèrent le terreau dans un sac plastique pour enrichir leur jardin.

 

***

 

Alors, pour ce lieu rempli d'habitants paisibles, sans problèmes terrestres de voisinage, peut-être serait-il bon de rappeler que c'est un endroit où le respect et le silence devraient être les clés d'entrée ; car il y a aussi des gens qui se disputent, règlent leurs comptes, se disent des injures. Il y a de jeunes enfants qu'on laisse courir ou grimper sur les tombes ; mais aussi les vaniteux qui font leur propre loi et emmènent leurs chiens au cimetière sans être tenus en laisse, gratifiant leurs passages de nombreuses déjections ou coursant les lapins, faisant fi de ce qu'ils renversent sur leur passage et des interdictions.

 

***

 

Ce cimetière possède une double vie. Avant de vous quitter, je vais vous parler d'un monde invisible et oublié de vous autres les humains. Dans les grands arbres sombres, alignés en remparts, cohabitent et chantent en toute sérénité : merles, étourneaux, mésanges, grives musiciennes, rouges-gorges et passerines multicolores. Parfois un envol d'engoulevents accompagne une âme. Abeilles, bourdons, papillons ne sont pas au chômage pour butiner toutes ces fleurs.

Seuls ennemis de ce territoire les chiens et chats.

 

***

 

Cette période de Toussaint représente pour nous les nombreux lapereaux, habitants des terres voisines, une période de festivités que l'on pourrait appeler la "Saint Lapin". Notre plat préféré, la bruyère, est en abondance ; avec cette multitude de plantes et de fougères à notre disposition, à l'image des fourmis, nous tapissons nos terriers des feuilles séchées qui nous protègeront des rigueurs du froid. Demain quand vous viendrez fleurir une tombe, je sais que vous aurez une pensée nouvelle pour moi et ma famille de lapereaux, et que vous ajouterez à votre bouquet quelques branches de graminées adorées des lapins.

 

 

Faites une halte à l'allée A, cimetière de C. Pour me rencontrer,

Appelez doucement "Kitsouki", le chef de bande des lapins.

 

                                                Françoise Leleux

 

 

 

 

 

 

P7

 

LA CHIENNE BELLE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Juillet le mois des grands départs en vacances était arrivé.

Dans un chemin, une jeune chienne de belle taille, presque toute blanche, avec une grosse tache noire sur les oreilles et sur le milieu du dos, cherchait l'ombre auprès d'un bosquet. Dès qu'elle percevait le bruit d'un moteur de voiture, affolée, elle courait vers le bord de la route espérant voir apparaître ses maîtres puis lentement, tristement, tête basse, revenait se coucher.

 

Par une fin d'après midi, un vieil homme qui se promenait, vint à passer par ce chemin et aperçut la chienne ; à son regard triste, il comprit tout de suite que la pauvre bête avait été cruellement abandonnée, comme un paquet gênant.

Se penchant pour la caresser, il fut surpris de la voir se redresser et mettre ses deux pattes de devant sur ses épaules, et lui lécher le visage, tout en poussant des petits jappements heureux.

La gorge serrée, le vieil homme murmurait :

"Eh oui tu es belle ! Belle ma belle !"

 

Ce soir là rentrant chez lui, il eut le regret de ne pas l'avoir emmenée et ne put dormir de la nuit, pensant sans cesse à la pauvre chienne, qui tout en poussant des petites lamentations, l'avait regardé partir, avec ses bons yeux qui semblaient lui parler, l'implorer.

Quelque chose lui faisait comprendre, que bien qu'elle fût une bâtarde sans race, elle était douce et affectueuse, et paraissait intelligente.

 

Tôt le lendemain matin, il s'en fut vers le chemin, tout en emportant un petit sac contenant de l'eau et de la nourriture.

Il marchait à grands pas et son coeur battait dans sa poitrine, car il craignait que la pauvre bête se soit éloignée ou égarée.

Arrivé près du chemin, l'apercevant, il poussa un gros soupir de soulagement.

 

La chienne le reconnaissant, tout en se tortillant autant qu'elle le pouvait, accourut vers lui, elle relevait ses babines et découvrait toutes ses dents, elle riait de plaisir.

Puis affamée, elle eut vite fait d'avaler tout ce qu'il lui avait apporté.

Tout en la caressant le vieil homme lui parlait, "tu avais faim n'est-ce pas ma belle", "depuis combien de jours n'avais-tu pas mangé !".

Ensuite il joua un peu avec elle, l'animal mis en confiance aboyait, sautillait, elle était heureuse.

 

Dès qu'il reprit le chemin du retour, elle se mit à sautiller en rond autour de ses pieds, d'un regard interrogateur, tout en poussant des petits jappements.

S'arrêtant souriant, le vieil homme lui dit :

"Allons viens ma belle ! Viens ! N'as-tu pas compris que je t'emmène !".

Sans hésiter elle se lança dans ses bras, lui léchant de sa langue tiède et humide son visage.

Elle savait qu'il l'avait adoptée, que Belle serait son nom désormais.

 

Arrivée dans la maison de son nouveau maître Belle s'installa sans façon dans un fauteuil et se mit à aboyer joyeusement, lui montrant toute sa confiance et sa reconnaissance, et voulant lui dire "que l'on est bien chez toi". Depuis ce jour une grande tendresse réciproque est née.

 

Le vieil homme qui est très bon et très patient la traite avec amour, il la nourrit bien et consacre une partie de son temps en lui procurant beaucoup de soins, il fait sa toilette, peigne ses longs poils ondulés et soyeux.

Chaque jour pour lui donner de l'exercice, il l'emmène arpenter la campagne ou le bois, docile elle accourt à l'appel de son maître.

Et quand vient le soir, et que dans un fauteuil il se repose, elle lui apporte ses pantoufles, pose sa tête sur ses genoux réclamant par son doux regard quelques caresses, puis s'étend de tout son long à ses pieds tout en le regardant d'un air d'extase.

 

Alors qu'il se croyait abandonné de tous, il est maintenant un vieil homme réellement heureux car la présence chaleureuse et sans calcul de Belle, le console de sa solitude, de ses désenchantements, de ses chagrins cachés, de tout ce qu'il lui était pénible et douloureux.

Compagne fidèle, douce, affectueuse, elle lui apporte par sa présence et par ses manifestations joyeuses, distractions et réconfort.

 

Ensemble, ils vivent désormais une aventure émouvante.

 

                                                                                                                       J. Fourmaux

 


 

 

P8

 

 TERRESTRES EXTRA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Boire un coup chez le dernier client ça ne se refuse pas même s'il est tard et qu'on n'en est pas à son premier. Mais en juillet, à l'approche des congés annuels qu'on attend avec impatience, rien n'est pareil. Même le retour vers le dépôt par cette petite route de campagne qu'il ne prend pas d'habitude présente déjà des allures de vacances. Tant pis pour ce détour d'à peine plus de dix kilomètres par rapport à la route normale. Bertrand roule vitres baissées un bras dehors pour mieux sentir contre lui la tiédeur lourde des odeurs de campagne dont l'été seul possède le secret. Il est 21 h 30 et le soleil qui glisse doucement vers l'ouest remplit de sa lumière dorée les contours fondus du paysage. C'est bon. Bon comme si le temps s'était arrêté pour laisser infuser la chaleur du jour. Bertrand n'a même pas mis la radio sur N.R.J. comme il le fait habituellement et machinalement. Le moteur du Renault Trafic ronronne à la vitesse tranquille de 65 km/heure, pas plus, ce qui permet de goûter davantage encore ce moment privilégié.

Pourtant Bertrand est fatigué. Il sent que ses paupières s'alourdissent et les deux dernières bières qu'il a bues il y a vingt minutes à peine y sont sans doute pour quelque chose. Mais pour ce qui est du travail, tout a été nickel et il se sent la tête libre comme l'air de ce soir qui fait ce qu'il veut de ses inimitables senteurs. Contrairement à cette idée reçue, le Sud du Cambrésis n'est pas plat et la route, qui de plus est sinueuse, oblige parfois à des relances du moteur ce qui permet de mieux grimper telle côte qu'on n'eût pas soupçonnée ici.

Une voiture se profile au loin avant de disparaître plusieurs fois derrière les reliefs du paysage pour réapparaître finalement d'un seul coup. En la croisant Bertrand la suit pendant quelques secondes dans son rétroviseur, réflexe banal d'automobiliste qui ne veut rien laisser échapper complètement.

Tout est calme et dans un bâillement incontrôlé ce dernier continue sa route quand soudain, sur sa droite il aperçoit une lueur vive de couleur plutôt orangée juste derrière un monticule situé à environ 500 mètres de là. Instinctivement il lève le pied de l'accélérateur et regarde plus précisément, s'attendant à voir apparaître quelque chose qui le renseignerait sur l'origine de la source lumineuse. Il ralentit encore en conservant les yeux fixés vers ce phénomène pour le moins étrange. Il ne s'arrête pourtant pas car le tracé de la route vire vers la droite ce qui va lui permettre, pense-t-il, d'observer la chose par contournement. C'est alors que brutalement Bertrand écrase la pédale de frein du Trafic ce qui a pour effet de l'arrêter net. Devant ses yeux médusés se déroule tout à coup une scène digne des plus incroyables scénarios de films de science fiction : un engin de forme ronde et d'allure métallique semblable à une assiette creuse placée dans le sens habituel qu'on l'utilise c'est-à-dire le fond vers le bas, vient de monter à la verticale de quelques mètres et fait du sur place, sans le moindre bruit. La masse est brillante avec des faisceaux lumineux rouges, jaunes et bleus qui bougent dans le sens dextrogyre. On dirait qu'une couronne de lumières tourne au ralenti autour du phénomène.

Les images se bousculent alors très vite dans la tête de Bertrand : il ne peut s'agir ni d'un avion, ni d'un ballon, ni du reflet provenant d'un quelconque feu. Non, rien de tout cela. Il se pince même pour s'assurer qu'il ne rêve pas, que la "chose" qui flotte là à quelques centaines de mètres n'est pas le fruit de son imagination ou encore d'une hallucination dont il serait la victime. Cela dépasse l'entendement et pourtant ! Il n'y a qu'un nom à donner au phénomène : soucoupe volante ! Même s'il n'en a jamais vu autrement qu'au cinéma ou que dans une bande dessinée. Quoi faire ? Il prend maintenant conscience que la peur le saisit et il en est paralysé. Il… C'est alors que l'engin devient plus lumineux et se met à monter à la verticale sur quelques dizaines de mètres, s'immobilise à nouveau pour finalement amorcer un démarrage suivi d'un changement de cap à 90°. Puis à une vitesse vertigineuse, disparaît.

Le témoin de cette incroyable scène est à la fois sidéré et soulagé. Il remarque que le moteur du fourgon s'est arrêté. Sous son siège Bertrand a toujours une petite flasque décorée d'un aigle et dans laquelle il garde de l'armagnac. C'est un cadeau qu'on lui a offert voici maintenant quatre ans et qui ne le quitte plus. Non pas qu'il en fasse un usage régulier mais de temps en temps, l'hiver surtout, il s'envoie un petit bouchon pour se réchauffer. Après cet épisode incroyable c'est la moitié du flacon qu'il avale d'un coup. Puis sans plus attendre il remet le moteur en marche et l'emballe aussi fort qu'il peut. Fuir ! Telle est la consigne que lui indique une indicible et prudente sagesse. Il sait maintenant qu'il va aller directement à la Gendarmerie pour relater son impensable histoire. Il a lu une fois dans le journal un article qui traitait d'un rapport de Gendarmerie et de soucoupe volante. Il est tard mais tant pis, il ne faut pas attendre demain afin de ne pas perdre les moindres détails de ce qui vient de se produire.

 

Avant de sonner à l'interphone de la grille de la brigade, il prend encore une triple rasade d'armagnac, juste pour se mettre le verbe en place. Bertrand n'est pas d'un naturel loquace et l'alcool, pense-t-il, va l'aider à se détendre. Il sonne et en bégayant annonce :

- "J'ai vu un O.V.N.I !"

C'est alors que commence la relation des faits. Rien depuis le début n'est oublié : la journée de travail, la route, la douceur de l'été et puis bien sûr la manifestation à laquelle il a assisté. Mais l'explication est confuse, fiévreuse, les mots se bousculent et des gestes électriques ponctuent le récit. Le gendarme de faction, perplexe, appelle ses collègues devant qui Bertrand redit son histoire.

  - "Mais dites nous, vous ne croyez pas que vous avez consommé un peu trop ? Vous avez pris la lune pour une soucoupe volante et bientôt vous allez nous parler de petits bonshommes verts qui vous ont, en plus, payé un coup à boire ? Allons, tout çà n'est pas très sérieux. La plaisanterie a maintenant assez duré. Rentrez chez vous et allez vous coucher sinon vous passerez la nuit dans la cellule d'à côté. Dans l'état où vous êtes, estimez-vous heureux de ne pas avoir eu d'accident."

Bertrand tente de réagir mais à trois contre un la lutte est inégale, surtout quand l'opposant représente la loi. Finalement, l'affaire tourne à la farce et on lui ordonne de sortir. Ce qu'il fait.

 

Pourtant il n'est pas fou, il a bien vu, elle était bien là ! Un hoquet lui secoue la poitrine… Il est fatigué et il se demande maintenant s'il ne rêve pas tout éveillé. Et comme il dort mal cette nuit-là ! Le peu de sommeil qui le prend est peuplé d'apparitions étranges et de lueurs incongrues. Quand il se lève le matin, la première chose qu'il fait est d'examiner le ciel. Tout ce qu'il a vécu la veille lui parait tellement irréel qu'il voudrait pouvoir l'oublier.

En remontant dans son Trafic il trouve la flasque de métal vide sur le siège. Pendant quelques secondes il est songeur. Aujourd'hui la journée s'annonce difficile et au dépôt son patron et ses collègues lui ont trouvé l'air bizarre. Cela ne l'empêche de céder à une pulsion qui le prend alors : il faut retourner voir sur place, personne n'en saura rien.

Le jour le paysage semble totalement différent et pour un peu il ne reconnaîtrait pas la route où il est passé hier. Arrivé pourtant à hauteur du monticule il s'arrête et décide d'aller à pied jusqu'à l'endroit où s'est immobilisé l'engin. Malgré le soleil déjà chaud il est parcouru par un frisson. Encore quelques pas. Et là ce qu'il découvre le laisse sans voix : l'herbe a été comme grillée sur un cercle d'environ trois mètres de diamètre. C'était donc vrai ! Bertrand court cette fois pour regagner son véhicule, autant mû par une crainte incontrôlée que pour rattraper le temps perdu. Au prochain village il se rend au café de la Grand Place et de là il appelle la Gendarmerie. Cette fois ils seront bien obligés de le croire.

 

- Encore vous ! Bon, dites-vous qu'on est en plein mois de juillet et que vos traces sur le sol sont tout simplement les restes d'un feu qui a été allumé par des gamins ou bien des campeurs.

Sur l'insistance de Bertrand le gendarme interroge :

 

-                  Et d'abord, d'où nous appelez-vous ?

-                  Du café de la Grand Place…

-                  Vous êtes encore au café ? Ecoutez ! Cette fois arrêtez ou on prévient votre employeur !

Là Bertrand a peur, mais d'une peur bien terre à terre. Si son patron vient à apprendre qu'il a bu un coup de trop, qu'il a vu une soucoupe volante et qu'il a dévié de sa route il risque d'être renvoyé et çà … ! Même, il commence à douter sérieusement de cette vision dont personne à part lui n'a déclaré depuis être le témoin. Et aujourd'hui tout cela remonte à déjà bien loin.

 

Depuis ce temps-là en tout cas, Bertrand a limité considérablement sa consommation de bière et le flacon flanqué d'un dessin d'aigle reste chez lui, dans le buffet de la salle à manger. Enfin, il n'a plus jamais dévié de sa route, que ce soit pour partir comme pour revenir.

 

S'il l'avait fait cependant il aurait pu constater que pendant trois années consécutives, à l'endroit même où se trouvaient les traces sur le sol, l'herbe n'a pas repoussé.

 

                                                                       Jean-François Sautière

 

 

 

 

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LES AMANTS DE LA PETITE LUNE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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A eux deux, la Marguerite et le Victor avaient un siècle et demi.

Leur âge respectif ? Ils l'ignoraient l'un et l'autre. Cependant, ils avaient pris l'habitude, à chaque Saint Sylvestre, de vieillir ensemble de deux ans.

Cela faisait tant de saisons qu'ils vivaient côte à côte dans le mas ancestral de Castillon la médiévale, cette Castillon-du-Gard en cours de délabrement, abandonnée peu à peu par ses habitants, inexorablement ; ce village construit dès l'Occupation romaine avec les pierres extraites des proches carrières, du Tertiaire Tortonien, disent les géologues. Cette "castrum de Castellione", puis "Castillo", seigneurie qui appartint, au XIVème , aux prévôts de la cathédrale d'Uzès, qui fut le théâtre de massacres de catholiques, -en 1570- ; qui tomba aux mains des Huguenots du Duc de Rohan, en 1626. Belvédère offrant une vue plongeante sur l'imposant Pont du Gard.

Marguerite et Victor ? Un couple modèle, sans histoires. Ils ne s'étaient jamais mariés. Néanmoins, ils avaient réalisé une telle osmose qu'ils se ressemblaient mieux qu'un frère et une sœur.

Chaque hiver les taraudait, l'un et l'autre, malmenant leurs bronches et leurs membres, leur cassant un peu plus l'échine. Les printemps les trouvaient affaiblis. Mais ils tenaient bon, s'occupant de leur petit potager, de quelques poules et lapins. La vie devint dure à vivre et ce fut presque un travail pour eux de partir du matin pour arriver péniblement au soir.

Ils ne se quittaient guère, assis sur leur banc, cramponnés à leur bâton de vieillesse en coudrier, les yeux, -eux aussi de plus en plus faibles-, balayant l'horizon de gauche à droite et de droite à gauche, s'arrêtant sur la tache lumineuse du Pont du Gard piquée sur un tapis de verdure, comme pour s'assurer de sa présence non loin d'eux. Ils ne se séparaient que pour vaquer l'une à la cuisine et la lessive et autres travaux ménagers, lui à la corvée d'eau, au jardinage, à l'entretien du mas.

Or, un jour que, comme à l'accoutumée, elle était assise devant la maison, rêvassant, il s'en alla cueillir de l'herbe pour les lapins, carottes sauvages, panais, sainfoins, branches d'acacia… D'où elle était placée, elle ne le distinguait plus ; mais elle entendait le bruit de ses sabots sonnant sur la pierraille du sentier.

Elle n'aimait pas qu'il s'en allât ainsi, la laissant seule. Elle se raisonnait cependant, sachant que sa solitude ne dépasserait pas une heure de soleil. Mais, ce soir-là, ce fichu soleil poursuivit sa course jusqu'à se cacher derrière la crête lointaine des Cévennes, et Victor ne l'avait pas rejointe. Dehors, c'était le silence des hommes, la nature livrant ses derniers murmures avant de s'endormir.

Marguerite s'affola. Que pouvait-elle faire, qui appeler pour lui venir en aide, partir à la recherche de son Victor ? Sa maison était trop éloignée de l'entrée du village, il faisait à présent noir, une nuit de petite lune. Elle n'y voyait plus guère et ses jambes étaient trop faibles pour qu'elle s'engageât dans une telle aventure. C'est certain : il était arrivé quelque chose de grave à Victor et il n'y avait personne pour le secourir. Désespérée elle pleura silencieusement, pria et, lasse, elle s'endormit sur le banc.

Un berger aperçut le vieillard, étendu dans l'herbe, évanoui. Il le chargea sur son dos et, tant bien que mal, le ramena chez lui. On l'étendit sur la grande table de la salle commune et là, on constata qu'il ne respirait plus. Victor avait rendu son âme.

On se consulta et on décida de ne pas prévenir la Marguerite. A l'aube, une villageoise, -la Jeannette-, et le Jules, -le berger-, se rendirent auprès d'elle. Elle dormait sur le banc, à l'extérieur de la maison. Jeannette la couvrit d'un grand châle et n'eut pas le courage de lui annoncer la terrible nouvelle.

Dans la journée, les femmes revinrent la visiter pour lui donner de quoi se nourrir. La vieille s'était levée. Assise sur le banc de la cuisine, les coudes appuyés sur la longue table de ferme habillée d'une toile cirée fleurie, elle marmonna :

-                      Ah ! C'est toi Victor ?... Je t'ai entendu, au petit matin. Que t'est-il donc arrivé ? Je n'y vois plus, mais j'ai bien reconnu ton pas et ton odeur… Je t'en prie, ne me laisse plus jamais seule aussi longtemps. Ca me fait un sang d'encre.

La Jeannette avait donné la consigne de ne rien dire, de ne pas parler devant elle. Seul le Jules prit la parole :

-                      C'est moi, ma vieille, lui dit-il d'une voix mal assurée.

Elle n'ajouta rien, prenant simplement le bras du Jules. Sa respiration devint sifflante. Elle geignit.

-                      Ca va pas… ça va pas… dit-elle haletante, cherchant son souffle.

Il en fut ainsi durant plusieurs heures. Puis elle cria :

-                      Où es-tu, le vieux ? Qu'est-ce que tu fais, bon sang ?

Personne n'osa lui répondre. Des curieux tentaient de voir, à travers les carreaux de la fenêtre, dissimulés derrière une rangée de géraniums.

-                      Ah ! Mon brave Victor, dit-elle à mi-voix. C'est bien d'être revenu. La Jeannette aussi… Dis-lui de ne pas rester, de ne revenir que lorsque ça ira mieux pour moi. Je ne veux pas qu'elle me voit dans cet état. Tu me comprends, n'est-ce pas ? Question de dignité. Demain, ça ira mieux, je le sens. Demain…

Le village au complet accompagna le vieux Victor à sa dernière demeure. Il ne manquait que sa Marguerite… qui ne sut jamais.

Deux semaines plus tard, l'âme de la vieille la quitta également. On la trouva assise, recroquevillée dans un coin, hébétée, un doux sourire accroché à ses lèvres.

-                      Demain… demain… se répéta la Jeannette dont la conscience était torturée, se demandant si elle avait bien fait de se taire, de la laisser partir ainsi dans l'ignorance.

Sa foi tempéra ses craintes. N'est-ce pas écrit dans les Saintes Ecritures que les âmes se retrouvent auprès du bon Dieu qui pardonnera sûrement leur concubinage ?

-                      Ah ! Ces lendemains ! Se dit-elle en jetant une fleur sur le cercueil de la vieille. Il en est toujours ainsi dans la vie : il y a toujours un lendemain où tout finit mal, et le jour de paix ou d'espoir qu'il nous arrive de vivre n'est jamais que la veille d'un autre qui apporte le malheur. D'ailleurs, lorsque le vieux Victor s'en est allé, n'était-ce pas un soir de petite lune qui, selon la légende, est méchante, qui tue par des moyens détournés, tous ceux qu'elle regarde du haut du ciel ? Victor le savait : il n'aurait pas dû la tenter !

Leur disparition marqua, pour Castillon, le début de sa résurrection. Grâce à un étranger venu de Neuchâtel en Suisse, qui en tomba amoureux, restaura la ruine qu'il avait acquise. C'était en 1956. Son exemple fit tache d'huile, et tout le monde se mit à l'ouvrage, des architectes de renom, tout comme les Compagnons du Tour de France. Pourtant, à cette époque, lors de la mort du Victor, puis de sa Marguerite, l'état de délabrement de ce village gardois ne présageait en aucune sorte une telle résurrection.

Mais voilà, c'était sans compter sans l'amour du beau et du passé, qui ranima cet endroit rempli de mystère et de poésie. Gare tout de même… à la petite lune méchante ! Légende certes… mais ne dit-on pas qu'il n'y a pas de fumée sans feu ?

La maison des deux vieux amants fut aussi rénovée, dans sa texture d'origine. En tendant bien l'oreille, sans doute entendrions-nous chuchoter les deux amants, ceux qu'emporta la petite lune ?

                                                                      Yann Villiers

 

 

 

 

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LA PAROLE DU CAPITAINE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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L'autochenille venait de stopper devant l'antique temple bouddhiste. Dos cassé, le vieil Annamite trottinait vers le véhicule. Il se cramponna à la portière tout en caressant machinalement sa barbiche dont les trois poils de chèvre tremblotaient d'indignation, et ses yeux mi-clos soutinrent le regard du capitaine dont les lèvres minces esquissèrent un sourire narquois : l'officier connaissait d'avance les récriminations de monsieur Thang ! Depuis l'arrivée du corps expéditionnaire, les vergers des riches propriétaires étaient régulièrement visités par les soldats. S'ils s'étaient dans les premiers temps contentés de dévaliser les orangeraies, de se goinfrer de mangues et de papayes, fruits inconnus chez eux, ils s'en prenaient maintenant aux plus gros arbres fruitiers dont ils faisaient débiter les troncs par d'insolents boys à leur solde. Et, chaque soir, la fumée des feux de leurs cuisines s'élevait vers le ciel pourpre comme un encens offert aux dieux d'une guerre qui s'éternisait sans issue.

 

Le capitaine alluma une cigarette. Sa main d'aristocrate tremblait ; imperceptiblement. Jusqu'à présent, la population du village s'était montrée soumise, les notables se voulaient coopératifs, avec un rien d'obséquiosité qui agaçait et comblait tout à la fois. Ce vieux schnock n'allait tout de même pas semer la pagaille pour trois souches à moitié pourries ! Ses jérémiades risquaient d'attirer l'attention des Viet Minh sur une région épargnée par les incursions des rebelles !

 

Regard lointain, le capitaine se surprit à rêver aux chênes centenaires qui ombrageaient le parc de ses aïeux, à ses jeux d'enfant gâté, sous les frondaisons, à ses flâneries d'adolescent au long des hêtres plantureux. Une brève nostalgie voila sa prunelle, mais il se ressaisit aussitôt et, d'un geste martial, balaya les douces réminiscences. Il se souvint de la sale guerre dans les rizières, des guet-apens et des Viets ; ce n'était pas le moment de s'attendrir sur ce vieillard pathétique !

Il prit toutefois un air compatissant et, d'un ton amène, rassura le notable dont, mieux que quiconque, il pouvait comprendre le désarroi et mesurer l'indignation. Désormais, c'était promis, ajouta-t-il en pinçant les lèvres dans un rictus, plus personne ne toucherait aux arbres de monsieur Thang.

Le notable ébaucha une courbette, rattrapa sa quenouille de barbe qui voltigeait, rassérénée, et s'empressa d'aller porter la bonne nouvelle à son épouse.

 

Madame Thang était fort occupée à préparer le festin du nouvel an dans le pavillon sur pilotis qui servait de cuisine, attenant à la riche demeure du notable réservée au culte des ancêtres et à la réception des hôtes de marque. Cette construction légère, montée sur de solides pieux de teck, protégée du soleil par de jolies nattes, était le fief de la maîtresse de maison qui, assistée de ses servantes, répartissait dans des plats de porcelaine les mets traditionnels destinés à la fête du Têt.

 

Tout en louant la courtoisie du capitaine son mari l'entraîna vers le minuscule autel planté dans la cour, et tous deux rendirent grâce au génie protecteur : plus de soldats pour grappiller les meilleurs fruits, plus de boys pour martyriser les arbres ! Bien sûr, cela ne ferait pas renaître les splendides fûts bêtement abattus pour les cuisines du contingent ! Des manguiers et des cocotiers plantés par le propre grand-père du notable, et qui avaient fait l'orgueil de plusieurs générations !

Un ruisseau arrosait les plantations ; c'est là que monsieur Thang s'amusait dans sa jeunesse à pêcher d'énormes grenouilles qu'il faisait griller sur place ; plus loin, sous la pergola que les poivriers grimpants piquetaient de leurs perles vermillon, il avait jadis, comme les Européens, osé parler d'amour à sa fiancée !

Le vieillard soupira et détourna un regard embué. Bientôt, il achèterait de nouvelles espèces prometteuses de fruits dont ses petits-enfants et leurs descendants pourraient se régaler un jour ; oui, le verger renaîtrait, encore plus beau ! En somme le capitaine était un brave homme ; le notable lui enverrait un panier de sapotilles à l'occasion du nouvel an…

 

Les soldats écartent les gamins du pavillon ; ils arriment une chaîne entre leurs deux jeeps, sautent dans leur véhicule et, d'un commun accord, foncent sur la cuisine. Pêle-mêle, jarres d'eau, plancher, viandes et légumes, porcelaines et pieux de teck s'écrasent sur les massifs de dahlias. Tête basse, les boys récupèrent planches et pilotis et les embarquent dans un camion militaire. Dans une embardée, les vandales effectuent une marche arrière et filent vers leur cantonnement : c'était là la réponse du capitaine ; en un sens il avait tenu parole et épargné le verger !

Atterré, monsieur Thang torturait sa barbiche ; il savait maintenant qu'un jour ces étrangers seraient impitoyablement balayés.

Il n'osa pas se plaindre au Résident. A quoi bon ! D'ailleurs le bataillon venait d'être muté dans la plaine des Joncs. Dès sa première escarmouche il devait être anéanti dans une embuscade.

                                                   Denise DUONG

 


 

 

 

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UNE VIE… BIEN REMPLIE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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C’est avec l’arrivée du printemps que, chaque année, je fais mes débuts dans la vie, et mon berceau est une fleur blanche parmi les milliers d’autres d’un énorme bouquet.

 

Lorsqu’il me voient les gens sont heureux : l’hiver est fini, les oiseaux gazouillent et le soleil réchauffe la terre.

 

Puis les pétales s’envolent, poussés par le doux zéphyr qui fait oublier la glaciale bise.

 

Très timide au début, je reste bien verte pour dissimuler sur la branche à l’abri des jeunes feuilles.

 

Mais les chauds rayons me font bientôt grossir et…rougir. Je prends alors une forme toute ronde, bien en chair, généreusement épanouie. Merles et passereaux me rendent souvent visite pour chanter les beaux jours. Et quand vient l’été … la fête commence !

 

Je deviens boucle d’oreille pour la petite fille, je régale toute la famille autour du clafoutis, je ne me transforme en goutte dans un bocal pour les réunions entre amis. Et tandis que ma queue est le symbole du petit rien , du pas grand-chose … au contraire , lorsque tout va bien , quand tout est parfait , je suis la derrière pièce qui se met sur le gâteau .

 

Vraiment, sans vouloir me vanter, je peux vous faire une confidence : si je n’étais pas là, si je n’existais pas…votre vie ne serais qu’un bol de noyaux !

 

Mais … Suis-je étourdie ! J’ai oublié de me présenter ! Oh, sans doute avez-vous trouvé … Alors, faisons un petit jeu et répondez vite à cette devinette :

 

Qui suis-je ???

JACQUES MACHU

 

 

 

 

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LE CHENE VERT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Il y a trente ans, c’était un avorton. Depuis des années les chèvres lui rognaient le fût, et il avait eu bien du mérite à survivre. Nous avons choisi l’arbre et renvoyé paître les chèvres … De toutes façons, il se trouve toujours ici des espaces maigres qui leur conviennent.

 

Dans sa générosité et dans sa gratitude, chêne vert a merveilleusement forci. Il me bouche complètement la vue désormais. Fini le clin d’œil au fénestron du voisin, à l’heure des ablutions. Terriblement amorties les criailleries, les exclamations d’enthousiasme, les provocations rieuses. Maintenant qu’il est dans sa maturité, l’arbre s’impose. Il est énorme, large et épais, relativement haut, d’une splendeur sombre et superbe. Il mériterait d’être classé !

 

Il est sûr de lui maintenant ! Qui  oserait en effet le taquiner du bout du bec ? Qui serait susceptible de le faire tomber un jour ? Tout  au plus galopin agile pourrait-il se permettre de se nicher au creux des plus grosses branches. On ne l’y verrait même pas !

 

Il y a pourtant eu sacrilège l’autre soir. Ce fut l’œuvre d’un gros chat blond dont l’obscurité avait été la complice, mais qui révéla sa présence à la faveur de ses deux yeux dorés, tapis entre les branches, perçants, barrés verticalement des deux pupilles rétrécies. Le vandale aurait été fondu dans la masse si seulement il avait eu les yeux clos.

 

Mais la vocation de l’arbre n’est pas d’être un refuge de la SPA. Sa richesse, c’est son pied.

 

Demandez à Olga, la chienne truffière, ce qu’elle en pense, elle qui le renifle avec espoir.

Et bien, elle est déçue, Olga. Les truffes mises à jour au pied de ce citoyen-là ne valent pas le déplacement. Pour elle du moins, la connaisseuse. Alors le maître les utilise pour « entraîner » les collègues truffiers… qui finissent par les manger. Si ce n’est pas malheureux ! Un si bel arbre, des truffes si minables ! Alors fichez lui la paix, au chêne vert, au lieu de lui chatouiller cruellement la plante des pieds !

 

Les hommes sont cupides !

Chez l’arbre, tout est gratuit ! Les fruits, l’ombre, le refuge, la beauté ! Plus tard le bois…

  

Mais toi, mon bel arbre, rescapé des chèvres, tu tiens les hommes en respect, car, je le confirme, tu es la durée, face au monde des incertitudes, et la sécurité. Même si tu es capable, O traître et satané garnement, de me masquer parfois la forêt !

                                                             PAULE LEFEBVRE

 

 

 

 

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Mon lièvre à l’ouverture

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Une volée de grives venait de partir des peupliers du font de notre jardin. Ces peupliers longeaient la voie ferrée et surplombaient de longues haies d’aubépines. La volée rejoignit le bois de la fontaine Jamet, devant chez nous. Notre maison était plantée au milieu de ce territoire. Nous vivions à la campagne dans le Nord de la France.

Avant l’ouverture de la saison de chasse, dans les premiers jours de septembre, je reprenais mon exercice favori en tirant quelques grives. Invariablement, elles plongeaient des peupliers vers les haies d’aubépine ou poussaient au-dessus de la maison pour aller vers le bois.

La veille de l’ouverture, j’étais dans le jardin et je surveillais, dernière répétition avant le lendemain. Vers le milieu de la matinée, je n’avais encore pas tiré le moindre coup de fusil quand je vis une dizaine de grives prendre leur envol en direction du bois de la fontaine Jamet. De derrière la haie de lauriers du fond de notre jardin, j’attendais qu’elles se trouvent juste au-dessus de moi pour épauler. J’en suivais une plus grosse que les autres, un peu à la traîne. Je tirais dans la foulée. Elle tomba à mes pieds. Mon père, qui avait suivi toute la scène à la fenêtre de la cuisine, sortit  et s’écria :

-      C’est le coup du roi !

Pour moi, c’était surtout le signe que l’ouverture serait excellente, un bon présage en quelque sorte.

Le lendemain matin. je me r éveillais au son du cor de chasse. Après avoir entrouvert la porte de ma chambre, mon père avait mis un disque de musique de chasse. J’étais en pleine forme et cette fantaisie paternelle me mit d’excellente humeur. Il était presque huit heures. L’ouverture officielle étant pour neuf heures, j’avais tous le temps de faire ma toilette, prendre un copieux petit-déjeuner et préparer toutes mes affaires. C’était ma première ouverture. Mon excitation grandissait de minute en minute.

J’avais rendez vous avec André et Monsieur B., deux amis chasseurs de longue date. Vers neuf heures, nous attaquions à l’endroit que l’on appelle « les quatre pâtures ».Le coin est réputé pour être giboyeux. Le nom lui est resté mais les pâtures ont disparu. En fait, trois des anciennes pâtures forment un grand champ ou avait été planté cette année- là du maïs. La récolte était toute fraîche, il ne restait que le bout des pieds que je m’amusais d’ailleurs à faire craquer sous mes bottes. La dernière pâture résistait encore au remembrement avec la veille cabane ou lorsque j’étais gamin, mon père me faisait croire qu’habitait le père « fouettard » ! C’était du passé, je rêvais un peu, il fallait me concentrer plus. En ligne, nous avancions dans l’ancien champ maïs, les deux chiens de mes amis devant, dociles, très bien dressés pour la chasse. Nous en atteignions l’extrémité lorsqu’une compagnie de perdreaux prit son envol. Monsieur B. tira deux fois, je lâchais un coup de fusil tout tremblant. Rien ne tomba. La compagnie se dirigea vers un grand carré de betteraves plus loin dans un léger creux.

Les idées se bousculaient dans ma tête et les sentiments que j’éprouvais se différenciaient sensiblement. J’étais heureux d’avoir vu cette belle compagnie, grosse d’environ dix perdrix, un peu déçu de n’avoir rien tué, mais certain que ce n’était que parti remise.

Vers onze heures, alors que nous remontions en direction du bois de la fontaine, nous croisâmes le père Vatin, son fils et son petit-fils. Ce sacré chasseur que je connaissais depuis longtemps, jamais bredouille, avait « fait » un lapin dans un petit champ de choux. J’écoutais le récit des faits, admiratif.

Vers midi, sans rien revoir, ni gibiers, ni chasseurs, nous repassâmes par la dernière pâture, prés du champ de maïs. André  nous avait quitté, et je restais avec Monsieur B. et son petit-fils Nicolas.

Dans le petit creux, là ou s’étaient réfugiées les perdrix, on attendait des coups de fusil, et bientôt, une ligne de cinq à huit, chasseurs apparut loin devant nous. Ils battaient les betteraves.

J’étais replongé dans mes rêves, lorsque je vis devant moi passer un lièvre, léger, insouciant ou décidé, la nature a des secrets terribles. Il devait fuir devant la ligne de chasseurs qui lentement descendait vers nous.

Je ne voyais plus Monsieur B. Nous étions séparés par un petit étang et des buissons au milieu de la pâture, son fils avançait calmement derrière moi.

Le lièvre continuait sa course, toujours gracieuse, il venait droit sur moi. Son regard croisa le mien. Je garderai ce souvenir toute ma vie .Je n’y ai pas lu la pitié, mais une volonté, un désir. Tous les chasseurs autour de moi avaient à leur tableau, et depuis longtemps, plusieurs lièvres, peut-être des « parents » de celui qui se présentait devant moi. Ses yeux semblaient me dire « c’est toi que j’ai choisi, toi, le nouveau, sans expérience… »

Je tirais un seul coup, le lièvre s’écroula Monsieur B ., à la détonation courut dans ma direction et me demanda la raison du coup de fusil. Je lui répondis avoir tué un lièvre.

Il voulut aussitôt savoir ou il s’était enfui, et par ou le poursuivre. Je répondais toujours calmement qu’il était là, à quelques pas devant nous, sans doute mort. Son petit-fils riait et me regardait avec des yeux, sans doute aussi admiratifs que les miens un peu plus tôt.

 Je n’avais rien prévu pour porter le gibier et c’est Monsieur B., rigolant de ma naïveté qui mit le lièvre dans sa gibecière. Il me félicita.

 C’est ma mère qui le cuisina quelques semaines après. Nous fîmes un repas délicieux, bien arrosé d’un vin rouge. Ace jour, c’est toujours le seul lièvre de mon tableau de chasse.

                                                                   ALFRED LENGLET

 

 

 

 

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NAISSANCE D'UN AMOUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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L'amour nous transporte au-delà des nuages,

Plus rien n'existe autour de nous,

Ni le vent, ni la pluie, ni l'orage

Sous le regard envieux des jaloux.

Nos cœurs sont à leur rendez-vous.

En ces lieux, la vie tourne une page,

Le paradis est là devant nous.

 

Glissant, sans hâte, sur les raies du soleil,

En nous s'installe le printemps. Ô merveille,

De nos cœurs, tendres bourgeons, éclatent

Leurs corolles, une à une mille fleurs s'épanouissent.

 

Y butinent aussitôt mille abeilles

Qui abreuvent, capiteux délice

D'un nectar aux senteurs de miel,

Notre bouche entr'ouverte en forme de calice.

 

Grisés de ces moments à nul autre pareil,

L'amour se scelle avec une tendre ardeur

Dans un long baiser de nos lèvres vermeilles.

Un baiser de saveur pain d'épices

Qui nous affame avec candeur.

Puis nous flânons le long des beaux rivages

De l'onde calme, si limpide, si pure

Monte une voix cristaline, un murmure,

Embrassez-vous. Approchez vos visages.

Une brise légère caresse notre front

L'amour nous fige là. Dieu ! Que c'est bon.

A sa reconnaissance, palpitent nos narines

Nos âmes exultent d'une joie divine,

D'ici-bas nous oublions les blessures,

Plus fort, l'amour lui, nous rassure.

Et dansent nos cœurs, dansent nos âmes dans le vent,

 

Qui loin ; loin nous emporte en tourbillonnant.

Nos mains se joignent pour ce voyage

Nous vacillons, ne voulons plus être sages,

Nos doigts s'étreignent, un frisson passe.

Puissant, l'amour ne cède jamais la place.

 

Doucement, tendrement on s'enlace,

Un spasme fort vient de nous traverser,

En esprit, nous venons de consommer.

L'amour, ce petit d'homme sans âge

Au septième ciel, nous a projetés sans ambages.

Flânant toujours au-delà des nuages,

Nous avons consommé. Que dire ! C'est fou.

Est-ce possible ? Direz-vous.

L'amour est un miracle. Avec lui on peut tout,

humez son aphrodisiaque senteur

sous un soleil doré et sa chaleur,

sur ces rivages

de Janine DE NANCY